LE PROF EN LIBERTé – LE VIN NATURE, C'EST PARFOIS BON, ET PARFOIS PAS

On va causer du vin nature. Si on pouvait éviter le seau d'eau sur la tronche, cela me ferait plaisir. Je suis sensible, et le sujet aussi. Des gens se sont mis sur la gueule pour dix fois moins.

La petite idée qui chante insidieusement dans mon petit cortex est celle-ci : n'irait-on pas un brin trop loin avec cette chose ? Notez le conditionnel, la prudence de Sioux. On a beau être un Peau-Rouge qui ne marche pas en file indienne, on essaie de se préserver. La longue marche est longue, camarade.

Label, saveur? Le vin nature dans tous ses états

Petit (a). Quid du label ? Au début, il fallait bien faire confiance, mais désormais il existe un label « vin méthode nature ». En gros du gros, on ne peut rien y mettre sauf un peu de sulfites lors de la mise en bouteille. Vous êtes assis, tranquille comme Baptiste, et on vous présente des vins. Là, vous vous dites : cherchons le label. Macache bono ! Nib ! Parfois, le vin est labellisé biologique ou biodynamique. D'accord, on suit. Mais on nous l'avait vendu comme nature. Nature, c'est nature, sinon ce ne serait pas nature. Alors quoi ? Nature ou pas nature ? That is the question, comme disait William.

Petit (b). Quid de la saveur ? On ne mettrait pas la main au feu que tous les vins nature sont irréprochables, on tient trop à la main. On a souvent supplié pour avoir des vins droits avec l'astérisque : droit de chez droit. Bardaf, on a reçu des vins de travers. Parfois ça pue, ça huile en bouche, c'est déviant, parfois peu, parfois beaucoup, parfois pas. L'astuce est qu'on n'est pas fort rassuré because on s'attend au meilleur et au reste. Lors de ma dernière grosse dégustation, les deux références « nature » : daubées. Net. Pas de beaucoup, mais pas de photo finish et pas de bol : on avait 48 bouteilles et 300 étudiants. Ils l'ont notée la daube, ils ne l'ont pas aimée la daube, ils l'ont charriée la daube.

À LIRE AUSSI Le vin nature est-il soluble dans la masse ?Petit (c). Quid des vins nature pas nature ? Prenons un exemple simple : Marcel Lapierre, le domaine bien connu tenu par les descendants. Question descendants, que ne me suis-je fait descendre ! Foutre dieu ! C'est pas du vin nature ! C'est droit ! Trop droit ! Il triche le père Marcel (enfin, c'est Mathieu). Un vin nature, ça peut pas ressembler à un vin pas nature, sinon les vins pas nature ressembleront aux nature et Dieu reconnaîtra pas les siens.

Petit (d). Quid de la petite production ? Ah ! La petite production. Le petit vigneron père peinard qui fabrique son canon de derrière les fagots en chantant les nuits de pleine lune. C'est pas faux, mais c'est pas tout à fait vrai non plus. Le concept de nature fait appel à la spontanéité (le raisin fermente tout seul), alors que c'est l'inverse, sinon ça part en cacahouètes : il faut du raisin nickel, de l'hygiène nickel, tout nickel. Marcel Lapierre avait été à l'école de Jules Chauvet, ?nologue nickel ? ceci explique le point (c). 

Enfer et rhume des foins

Petit (e). Quid de l'ouverture ? Diantre, l'ouverture. On avait presque oublié comment les vins traditionnels étaient les représentants d'un entre-soi, d'une chapelle, d'un esprit de clocher. D'accord avec tout et le reste aussi mais? On peut aussi se faire maltraiter dans un bar à vin nature, surtout si on ne connaît pas les codes de la coolitude locale. Il arrive qu'on vous serve mal, on vous parle mal, vous vous sentez mal. Comme un péquenot. L'enfer, c'est les autres, et les autres des autres, c'est l'enfer.

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Petit (f). Quid de l'ivresse ? Cette fameuse ivresse différente du vin nature, comme chantait Jacques Néauport avec Guy Debord. Appréciant les deux gaillards, je m'y suis collé, on s'en est collé et je ne l'ai jamais trouvée. Les personnes sensibles à l'histamine alimentaire seraient même plus patraques avec des vins nature, remplis d'amines biogènes et autres saloperies du même tonneau. On n'ira pas prétendre que c'est le mal du siècle, mais regardez les allergies autour de vous. Quand j'étais môme avec le rhume des foins, on me prenait comme un Martien. Aujourd'hui, passez muscade. Bref, ne mentons pas comme un arracheur de dents : on a le droit d'avoir mal aux cheveux avec du vin nature.

Petit (g). Quid de la philosophie ? Plus verte, plus respectueuse, plus écologique, en un mot : absolument moderne. On est d'accord, on la valide, on la soutient, on l'adore. L'agriculture intensive, ce n'est pas ma tasse de thé anglais, ni les pesticides ni les maladies des ouvriers viticoles? Il n'y a rien à redire, autant l'écrire. Les vins nature ont montré une autre voie, une autre manière de faire le vin, de prendre soin d'une exploitation et des travailleurs qui y travaillent. Faisons-nous l'avocat du diable, c'est le jeu de la rubrique : pourquoi diable, justement, ne sont-ils pas fichus de labéliser ces choses ? Retour au point (a).

C'est jeté un peu vite, c'est décousu et on aurait pu faire mieux. Il reste beaucoup de choses à en dire. La bouteille est à la mer et, quand on l'ouvre, parfois on aime, parfois pas. Au fond, c'est le cas avec tout. Prenez une bête porte avec une bête sonnette : quand on sonne, parfois il y a quelqu'un, parfois il n'y a personne (dixit Ionesco). Pour être clair, on aime le vin nature. La preuve ? On en parle ! Tant va la cruche à l'eau qu'à la fin on la boit. Et le chien aussi. Le chien la boit et la caravane passe. Salukes.

* Le professeur Fabrizio Bucella est docteur en physique et professeur des universités à l'Université libre de Bruxelles (Belgique). Il enseigne également dans les universités de Bordeaux, Reims et à Sciences Po Lille. Ses livres, qui allient science et pédagogie, sont publiés aux éditions Dunod et Flammarion. Régulièrement, il publie de courtes vidéos sur les réseaux sociaux et nous donne rendez-vous au travers de sa rubrique « Le prof en liberté ».

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